Je ne savais pas | Sheireen (Abandonné)

Sheireen était incapable de se départir de ce sourire sur ces lèvres. La veille, elle avait eu des conversations hautement pertinentes et élaborées au sujet de la dernière lecture en cours des membres du Club de Lecture. Leur rencontre avait été riche en détails et avait ravis à jeune bibliothécaire. Puis, en soirée, elle avait retrouvé Hannah… Du coup, ce matin, Lestrange était d’une humeur particulièrement radieuse. Elle était là, simplement à replacer manuellement des livres à leur place… un travail un peu idiot puisqu’elle aurait pu le faire d’un simple coup de baguette, mais ça lui offrait tout le loisir de se perdre dans ses pensées. Si bien qu’elle ne remarqua pas le regard qui la suivait depuis un moment. Elle n’eut pas de frissons avec la sensation d’être observée… et n’entendit même pas son collègue approcher.

Elle fut donc plutôt surprise, sursauta et échappa les deux livres qu’elle avait toujours dans les bras lorsque la voix de Donovan la tira de ses songes. Ce professeur était arrivé au cours de l'année dernière, pour combler le poste de maître des potions laissé vacant suite aux terribles événements d'Halloween, et s'il traînait souvent à la bibliothèque, la maîtresse des lieux devait reconnaître qu'elle ne le connaissait que très peu, voir pas du tout. Confuse, Sheireen se pencha très rapidement pour ramasser les ouvrages, honteuse de les avoir laissé tomber de la sorte, ce qui ne lui ressemblait pas du tout.

-Ex… pardon, excusez-moi, bredouilla-t-elle, rouge de honte, en serrant les deux volumes contre sa poitrine. Je… je ne vous avais pas entendu venir… M… excusez mes manières, oui, je vais très bien, et… et vous?

Enfin, elle allait très bien, jusqu’à ce qu’il la surprenne de la sorte. Était-il une sorte de chat déguisé en sorcier pour parvenir à se déplacer si silencieusement, ou était-elle à ce point distraite qu’elle n’aurait rien entendu s’il avait été un troll croisé avec un géant? Donovan s’empressa de dissiper le malaise avec une facilité déconcertante, lui demandant simplement de l’aide pour trouver quelque chose. Lorsqu’il était question de faire la conversation juste par politesse, Sheireen était un véritable cauchemar ambulant. Mais lorsqu’il fallait parler boulot, alors elle devenait plus sûre d’elle… et pouvait même être difficile à faire taire!

-Bien sûr, des ouvrages généraux ou bien de façon plus spécifique, comme sa faune, sa géographie, son histoire, ses populations sorcières? Ou peut-être aviez-vous en tête un pays en particulier? se mit-t-elle à questionner de façon précise.

Se secouant, la bibliothécaire s’arma de sa baguette, et d’un sortilège informulé, tous les livres qu’il lui restait à ranger retrouvèrent sagement leur place, comme s’ils n’avaient attendu que ce moment pour s’activer. Un regard extérieur, comme celui de Donovan, pouvait se demander pourquoi elle n’avait pas fait usage de la magie plus tôt… Mais ceux qui connaissaient cette bibliothécaire si particulière savait qu’il ne fallait pas trop s’étonner de ce genre de comportements de sa part!

Codage par Libella sur Graphiorum

Du coin de l’œil, la bibliothécaire avait bien vu l’infime geste esquissé par le professeur qui dans le but de l’aider à ramasser son désordre, du coup elle avait accéléré la cadence. Elle n’était pas du genre trop fière pour reconnaître lorsqu’elle avait besoin d’assistance, mais lorsqu’elle était embarrassée par sa propre maladresse, elle n’avait surtout pas envie qu’on ajoute à sa honte en résolvant ses problèmes à sa place. Surtout s’il s’agissait d’un homme qui lui était pratiquement inconnu.

Donovan avait commencé à lui dire qu’il ne savait pas exactement ce qu’il voulait, mais c’était interrompu en voyant Sheireen utiliser de la magie pour terminer un tache qu’elle avait commencée à la main. S’attendant à tout moment à ce qu’il la questionne à ce sujet, Lestrange tenta de préparer une réponse qui ne la ferait pas passer pour une idiote, mais Craig décida plutôt de poursuivre sur sa demande, ce qui soulagea un brin la jeune dame.

-Allons pour les ouvrages généraux alors, je doute d’avoir des guides touristiques pour ce coin éloigné du monde, mais je pourrais toujours jeter un œil.

Il est fort probable qu’une personne normale aurait dû l’interroger sur cette habitude qu’il avait évoquée de voyager beaucoup, mais Sheireen était bien trop timide pour cela. Et pourtant, ce n’était pas la curiosité qui manquait, elle bouillait intérieurement d’envie de l’entendre lui raconter ses aventures. Dès qu’elle avait connaissance des intérêts de voyages d’une personne, la bibliothécaire pouvait devenir vorace de détails… si elle se sentait assez à l’aise en la présence de ladite personne, ce qui n’était pas le cas de Donovan, tout simplement parce qu’elle le connaissait si peu. Elle indiqua plutôt d’un geste de la main une rangée de livres, et l’invita du chef à la suivre.

-La géographie, c’est par là-bas, continua-t-elle en chuchotant, comme toujours, pour remplir un peu le silence causé par sa gêne viscérale.

Ses doigts courraient sur les reliures du rayonnage de géographie, comme si elle les caressait doucement pour les saluer au passage. Dépassant l’Europe, l’Asie et l’Afrique sans s’y arrêter, sachant qu’elle trouverait le « nouveau monde » à la fin de la rangée, Lestrange marchait du pas de celle qui sait où elle s’en va.

-Ah, voilà, Amérique… du Nord… marmonna-t-elle en laissant toujours courir ses doigts sur les reliures à mesure qu’elle lisait les titres, continuant d’avancer pour trouver ce que son collègue cherchait. Centrale… Voilà! Sud. Hum… j’en ai moins que j’aurais espéré, vous m’en voyez navrée… se désola-t-elle avec une moue en observant d’un air critique les quelques respectables dizaines d’ouvrages devant elle. Je vais assurément devoir faire une recherche pour vous trouver mieux, il me semble un peu dépassés. Et comme je le craignais, aucun guide touristique... Voyons voir… Brésil, Colombie, Équateur, Chili, Argentine… Ciel! Il en manque beaucoup. Je crois bien que vous devrez vous contenter de ce volume plutôt général, malheureusement.

Un bouquin qui n’avait rien d’ennuyeux au premier coup d’œil, malgré l’air désolé de Sheireen. Lorsqu’elle s’empara du volumineux bouquin, haut et large en plus d’être constitué de plusieurs pages, on y découvrit une magnifique couverture ouvragée avec goût, représentant tout le continent qui intéressait Donovan.

Codage par Libella sur Graphiorum

En lui parlant de voyage éventuel, Donovan avait naturellement porté l’orientation de la recherche de Sheireen vers la géographie et le tourisme. Elle battit donc plusieurs fois des paupières dans une expression de confusion lorsqu’il affirma qu’il n’avait que faire des guides touristiques. La jeune bibliothécaire se trouva gênée de s’être trompée de la sorte, elle qui aimait, à son honneur, toujours trouver précisément le bon titre pour les usagers de la bibliothèque, qu’ils soient élèves ou membres du personnel.

La culture, donc. Zut. Lestrange se mordit la langue en lui tendant tout de même l’ouvrage qu’elle avait repêché pour lui. Certes, il y trouverait des brins d’informations culturelles à l’intérieur de ce volumineux bouquin, mais s’il voulait vraiment connaître plutôt les gens et les coutumes de l’Amérique du Sud, il aurait été plus intéressé par un livre précisément à ce sujet. Hors, les peuples et les civilisations n’étaient pas dans le même rang que les continents et les pays, le premier appartenait à la famille des Sciences sociales, alors que les seconds appartenaient à la catégorie de l’Histoire et la Géographie. Pas les mêmes cotes Dewey du tout!

Toute perdue dans ses pensées, Sheireen ne l’avait pas entendu demander pour prendre l’ouvrage, et avait donc un brin sursauté en sentant les doigts de Donovan se refermer sur les siens, la ramenant à la réalité. La jeune femme s’empourpra en émettant quelques sons inintelligibles en réponse à son excuse, ce qui ne l’embarassa encore davantage d’être incapable de s’exprimer correctement pour un simple contact froid. Et pas seulement froid dans le sens « distant et affection », mais bien froid dans le sens… bien, de température. Il semblait pourtant à la bibliothécaire que le temple du savoir était correctement chauffé pour un confort optimal, mais les doigts du nouveau professeur lui avaient semblé trop frais, comme s’il n’avait pas une bonne circulation sanguine. Un fait assez commun chez les femmes, certes (pas Lestrange, qui avait toujours les mains chaudes!) mais plus rare chez les hommes.

Le bouquin avait quitté ses mains, Craig le feuilletait maintenant d’un air songeur, et la bibliothécaire allait lui préciser qu’elle avait peut-être une meilleure idée de ce qui pourrait satisfaire sa curiosité, mais il lui semblait que sa langue s’était transformée en plomb, et qu’elle ne savait plus comment s’en servir. Comment un si léger contact parvenait-il à la déstabiliser de la sorte, cela tenait davantage de la magie que du mystère! Le sourire qu’il lui adressa vint encore plus la déstabiliser, bien qu’il ne s’agissait certainement que de politesse, mais comme Donovan revint à parler de livres et de voyages, Sheireen parvint enfin à retrouver un peu l’usage de sa langue… En partie.

-J… Il y a… autres choses que je pourrais vous montrer… marmonna-t-elle de façon moyennement intelligible.

La température ne lui semblait plus « confortable » comme à son habitude, trouvant soudainement qu’il faisait beaucoup plus chaud qu’il ne l’aurait du. Mais tout ça, c’était juste à cause de sa fichue anxiété sociale qui lui pourrissait encore la vie et lui donnait l’air d’une cruche.

-Enfin, un autre rayon… Au début de l’allée des sciences sociales. Les différents peuples et civilisations s’y trouvent. Oh, et à la fin de la même rangée, les coutumes… folklore… et plusieurs autres…

Toussotant timidement, Lestrange pointa vaguement quelques rangées plus loin, mais ne fit pas encore le premier pas pour s’y rendre. Elle savait que les gens en général aimaient qu’on s’intéressent à ce qu’ils disaient et qu’on les questionne sur leurs loisirs, et cela faisait deux fois que Craig mentionnait son « prochain voyage », essayant certainement de lui tendre une perche pour qu’elle se lance dans du small talk sympathique… Il ignorait que ce n’était pas du tout la tasse de thé de la pauvre bibliothécaire. Elle s’y efforça tout de même, parce que si sa bonne amie Lizbeth la voyait ignorer superbement les tentatives de conversation d’un nouveau professeur ayant le potentiel de devenir un ami et jouer encore les ermites, elle allait la gronder.

-Donc… vous partez toujours… heu… en voyage? Je veux dire… chaque vacances?

Qu’est-ce que c’était que cette question stupide et sans intérêt? Qu’elle avait honte…

Codage par Libella sur Graphiorum